« Manger connecté : vers un nouveau modèle alimentaire ? »

Troisième édition du MeatLab Charal

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Nous avons pu assister à cette très intéressante conférence, qui nous permet de nous interroger sur les modes de consommation alimentaires actuels et l’influence du digital sur notre façon de nous alimenter.

Je vous invite à en découvrir le compte rendu ci-dessous :

Le 17 octobre dernier se déroulait à Paris la 3e édition des rencontres MeatLab Charal.

À travers des rendez-vous initiés en 2017, Charal, la marque leader de la viande en France, se donne pour ambition de s’interroger sur les questions liées à l’alimentation, afin d’analyser la façon dont elle est impactée par les évolutions sociétales.

La 1re édition avait ainsi ouvert le débat sur la question du flexitarisme,  puis, lors de la 2e, la question du genre avait été abordée en analysant les différences homme-femme dans l’alimentation d’un point de vue nutritionnel mais aussi sociologique et neuroscientifique.

Pour la 3e édition,

Charal, a choisi la Station F, incubateur européen de start-up, afin d’ouvrir le débat sur la façon dont le digital influence notre alimentation. Que ce soit via les applications, qui nous donnent des informations nutritionnelles et qui sont pour nous à la fois une opportunité pour valoriser les bienfaits nutritionnels de la viande de bœuf et un challenge lorsqu’il s’agit de produits élaborés, ou

via l’influence des réseaux sociaux.

Pour en parler :

  • Sabrina Therene, IFOP
  • Ysabelle Levasseur, diététicienne-nutritionniste
  • Catherine Lejealle, docteure en sociologie, enseignante-chercheuse à l’ISC Paris
  • Clément Chevrette, directeur de Smart Food Paris

Débat animé par Grégory Dubourg, directeur et fondateur de l’agence Nutrikéo, spécialisée dans le conseil en stratégies nutrition.

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MANGER CONNECTÉ : VERS UN NOUVEAU MODÈLE ALIMENTAIRE ?

Le smartphone nous donne désormais la possibilité d’accéder partout et n’importe quand aux réseaux sociaux et aux applications connectées. Son utilisation est plébiscitée dans de nombreux secteurs, avec en tête de file le secteur alimentaire. Commandes en ligne, comparaison de listes d’ingrédients, vérification des allergènes, géolocalisation des produits, vérification de la traçabilité… : le téléphone est devenu l’assistant alimentaire des consommateurs.

à quel point cette digitalisation influence-t-elle nos choix alimentaires et le rapport à notre assiette ?

  • Quel est l’impact de la technologie sur notre façon de manger, et notamment sur notre façon de manger de la viande ?
  • Qui décide in fine : l’individu ou les influences multiples auxquelles il est exposé ?
  • Comment les Français arrivent-ils à faire le tri dans les informations qu’ils reçoivent ?
  • Et le plaisir dans tout ça ? Manger beau et sain s’inscrit-il forcément en contradiction avec les notions de goût, de plaisir et de partage ?
  • Cette approche connectée remet-elle en question notre modèle alimentaire ?

Le sujet a été abordé sous les angles psychologique, technologique, nutritionnel et sociétal.

l’IFOP a réalisé pour  cette 3e édition de la MeatLab, Charal  une étude sur l’usage et l’impact des applications alimentaires sur l’alimentation des Français. Cette étude vise à mesurer la notoriété des applications alimentaires et leurs usages, à définir le profil des consommateurs, à cerner l’impact de l’utilisation de ces applications sur les habitudes d’achat et à identifier les catégories de produits les plus impactées.

 Ce qu’il en ressort :

  • Depuis maintenant 3 ans, le nombre d’applications de décryptage alimentaire s’accroît, tout comme l’intérêt du grand public pour l’utilisation de ce type d’outils.

Une application de décryptage alimentaire permet à son utilisateur de scanner ou de rechercher un produit pour connaître ses caractéristiques et sa qualité nutritionnelle via une note globale. 53 % des Français connaissent aujourd’hui au moins une application alimentaire et ils sont 33 % à en avoir déjà utilisé une, dont 1/3 ont essayé et arrêté de les utiliser (8 % d’abandonnistes).

  • Cela laisse encore aujourd’hui 25 % d’utilisateurs d’applications alimentaires en France.

Parmi ces utilisateurs actuels, 76 % l’utilisent depuis moins d’un an, ce qui souligne le caractère très récent de ce phénomène.

L’application Yuka (créée en 2017) est certainement l’application la plus connue (43 % des Français) et la plus utilisée (22 %), loin devant Open Food Facts créée en 2013 et première application de cette longue série (7 % de notoriété et 2,7 % d’utilisateurs).

Actuellement

1 Français sur 2 connaît au moins une application alimentaire

1 Français sur 4 utilise une application alimentaire

Le profil des utilisateurs d’applications 

30 % des utilisateurs sont des familles de 35-49 ans, 21 % d’utilisateurs  sont de CSP supérieures et la région parisienne représente 23 % des ’utilisateurs. Les familles utilisent donc davantage ce type d’applications alors que les millénials pèsent pour 26 % des utilisateurs.

Les applications sont autant utilisées à domicile qu’en magasin pour plus de 90 %  et l’utilisation se fait en grande majorité plusieurs fois par mois. Pour ceux  qui utilisent systématiquement les applications, l’utilisation a plutôt lieu en magasin lors de l’acte d’achat.

Les utilisateurs accordent une confiance élevée de près de 8/10 aux résultats apportés par les applications, avec 65 % d’entre eux qui donnent une notre supérieure à 8, tandis que les 41 % que sont les nonutilisateurs n’accordent qu’une confiance moyenne (5,9/10).

Il y a donc encore une certaine méfiance vis-à-vis de ces applications.

La  composition des produits est le critère d’évaluation le plus important : présence d’additifs, quantité de sucre, de sel, de graisse, de certains ingrédients (comme l’huile de palme, le gluten). Des critères en lien avec la santé donc, tandis que l’origine, la traçabilité du produit ou la présence de label (bio…) passent au second plan.

  • L’application alimentaire est principalement utilisée pour évaluer les produits ultratransformés

(Les plats cuisinés, les gâteaux/biscuits sucrés…), car c’est dans ces produits-là que la présence d’additifs, de sucre, de graisse est plus probable, et dans une bien moindre mesure les produits bruts tels que les viandes rouges ou blanches.

  • On observe un impact réel des applications sur les habitudes d’achat de produits alimentaires puisque plus de 1/3 des utilisateurs changent de marque si le résultat n’est pas conforme. C’est pour les produits végans que la sanction est la plus importante (51 % des utilisateurs vont changer de marque).
  • On note 2 profils d’utilisateurs différents

Certains ont  un usage informatif de ces applications et vont continuer à acheter les produits même si la note n’est pas conforme à ses attentes ; et certains plus engagés vont  arrêter d’acheter le produit.

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LES RÉSEAUX SOCIAUX ET LEUR RÔLE SUR NOS CHOIX ALIMENTAIRES

L’alimentation est une tendance incontournable sur les réseaux sociaux : sur Instagram, le #food, ce sont plus de 360 millions de posts qui existent au total et, sur Facebook, ce sont plus de 1 milliard d’interactions par mois. Alors, mangeons-nous sous influence ?

La réponse est oui. Catherine Lejealle, docteure en sociologie, nous l’explique : « Que ce soit en

food ou pour toute autre pratique, les réseaux sociaux impactent nos comportements : 2 impacts majeurs :

  • Un impact prescriptif, une préconisation qui vise à apporter de l’information : sur les réseaux sociaux, les influenceurs nous montrent ce qu’ils ont mangé, un burger par exemple. Et, dès le lendemain, une foule se précipite pour manger ce burger. Ils ont le « pouvoir » de faire connaître et de donner envie, car on a plus confiance dans les influenceurs que dans la publicité de la marque. Dans ce cas, on ne se pose pas la question de la crédibilité de la source : dans quelle mesure est-elle neutre, est-elle récompensée ?… À tel point que les restaurateurs se mettent à créer des recettes qui passent très bien sur Instagram. Ensuite, les utilisateurs et les consommateurs eux-mêmes veulent prendre en photo ces plats.
  • Un impact sur la construction identitaire : on recherche la construction identitaire, à faire partie de

La communauté pour se dire « j’y étais » ! On se définit par ses pratiques alimentaires.

C’est intéressant parce qu’anthropologiquement l’alimentation est une des choses qui nous définit le plus. Il suffit d’aller voir l’exposition au musée de l’Homme « Je mange donc je suis » pour s’en rendre compte.

Dans cette construction identitaire, il y a une mise en scène de soi. On observe une distorsion entre la vraie vie et ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux. On parle de bovarisme, on ne montre pas (ce que le sociologue Erving Goffman appelait « les coulisses »). On donne l’impression que notre vie est aussi glamour et aussi extraordinaire que ce qu’elle peut paraître sur les réseaux sociaux. Mais au final ce n’est qu’un extrait et une mise en scène parce que ce repas qui est magnifique sur Instagram n’est peut-être pas gustativement bon.

On relève également une 3e composante un peu transversale : le collectif. « On ne mange pas simplement pour soi mais pour le faire savoir, pour le montrer. »

 Ysabelle Levasseur, diététicienne-nutritionniste, partage cet avis et constate aujourd’hui que dans son métier, il faut être connecté. « Les gens se fient à des applications, à des influenceurs, à des messages sur les réseaux sociaux pour leur santé. Cette donnée a énormément modifié le discours et leur attitude au quotidien. Aujourd’hui, les patients sont très connectés, très informés, mais ce n’est pas sans poser quelques problèmes. »

#food, sujet phare des réseaux sociaux

L’influence des réseaux sociaux est surtout notable dans la population très fragile des adolescents et adolescentes qui ne jurent que par certains profils d’influenceurs. Très vite, ils se mettent à vouloir

vivre, c’est-à-dire à manger, s’habiller, etc. comme leurs influenceurs préférés.

La population des jeunes adolescents est très sensible à ce qui se dit sur les réseaux sociaux et est capable de modifier son comportement alimentaire. « Aujourd’hui, cela nous pose problème à nous, professionnels de santé, face à ces jeunes qui vont se mettre à exclure des groupes alimentaires entiers. Je vois des jeunes patientes en crise identitaire arriver au cabinet et ayant décidé de supprimer la viande ou le lait, car telle influenceuse a dit que c’était mauvais pour la santé. On s’aperçoit qu’il y a un véritable impact sur cette population très fragile, et souvent cachée des parents. »

« L’approche est différente entre les filles et les garçons. L’orthorexie (vouloir bien manger à tout prix, au point que cela en devient une obsession et met en péril sa vie sociale) va plus concerner les filles. Pour les garçons, c’est un peu différent. Ils vont regarder des comptes qui vont être plus sportifs avec un autre rapport à l’alimentation. »

Au-delà de l’âge, l’influence des réseaux sociaux peut également être différente selon les milieux, les catégories socioprofessionnelles. En effet, on n’a pas la même façon de s’informer ni de consommer selon son profil socioéconomique et ses préoccupations :

  • les personnes en difficultés sociales vont plutôt chercher les bons plans pour manger moins cher que chercher à manger mieux pour leur santé et l’impact sur la planète ;
  • il y a une différence entre ceux qui ont le temps de s’informer et ceux qui ont comme préoccupation de remplir le frigo/consommer tout court (accès à la consommation pour les catégories sociales plus défavorisées, et consommer moins mais mieux pour les catégories plus favorisées ;
  • de plus, certaines modes vont promouvoir le sans gluten, le sans produits laitiers, le sans viande, le végétalien… alors que d’autres personnes vont être persuadées que ces produits alimentaires sont bons pour la santé et souhaitent donner le meilleur à leurs enfants.

Selon Catherine Lejealle, « face à cette masse d’informations (qu’elles soient food ou autres), il faut avoir de l’éducation, et une certaine formation pour prendre du recul et comprendre qu’un aliment peut être noté B au nutriscore et s’avérer intéressant pour la santé. C’est vraiment ce qu’il manque aux réseaux sociaux qui permettent de liker ou de diaboliser les choses sans apporter de nuances ! Les plus jeunes, ou les moins éduqués, peuvent être plus fragilisés face à cela ».

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LA TECHNOLOGIE AU SERVICE DE NOTRE ASSIETTE

 Au-delà des réseaux sociaux, on observe un boom des applications. Ces applications sont très récentes, et sont en train de faire bouger les lignes du côté des consommateurs, mais également du côté des industriels : 1 Français sur 4 utilise une application alimentaire actuellement et 76 % des utilisateurs l’utilisent depuis moins de 1 an (étude IFOP ©MeatLabCharal). La plupart de ces applications sont portées par des start-up qui innovent pour accompagner le mangeur connecté. Vers quoi va la tendance ? Que recherchent les Français à travers ces applications ?

Pour apporter un éclairage sur cette approche technologique, Clément Chevrette, directeur Smart Food Paris (Paris&Co), a tout d’abord dressé un état des lieux de l’écosystème start-up alimentaire / nutrition :

  • Les start-up françaises de la FrenchTech se sont fortement investies dans le domaine de l’alimentation, pour faciliter la vie du consommateur. Sur les 600 start-up intervenant sur la chaîne de valeur du secteur alimentaire recensées en France, la part relative (Nutrition + Food Delivery) doit atteindre 40 %. On compte parmi elles 50 % de services digitaux et 50 % de produits.
  • Désormais, nous avons une application pour chaque moment. Ces applications nous aident à y voir plus clair et nous accompagnent dans nos actes d’achat. Elles font désormais partie du quotidien des Français et les guident dans tout le process d’achat amont/aval. « Les applications nous sont utiles et ne s’inscrivent pas forcément en contradiction avec les notions de plaisir, de praticité et de nutrition. »

Au-delà des applications d’aide à la décision nutritionnelle (ScanUp, Appetia, Foodvisor, Yuka, Siga,Scaneat, Kwalito, FAR, Chef Bambino (vidéo autour du bien manger), le panorama des applications est vaste avec d’autres applications « servicielles » telles que les programmes nutritionnels personnalisés (Lose it!, Maïa Coach, Smart Diet, FeelEat) ou encore les applications de livraison.

Si la nutrition représente un point important pour les start-up actives dans cet écosystème, la livraison alimentaire – Food Delivery – n’est pas en reste (30 % des start-up accompagnées) : on observe une « explosion des acteurs avec une segmentation de plus en plus forte : il y a Bim Bim Go pour les étudiants, Rapidle ou Dood pour les boulangeries/CHR, Innovorder et Meal Canteen pour les scolaires autour du gaspillage alimentaire. J’évoquerais également la dématérialisation des paiements en titres-restaurants, avec Lunchr par exemple qui est désormais bien déployée. De plus, avec un positionnement approvisionnement local, on observe la start-up Alancienne qui vient de se créer ou encore des start-up plus avancées de type Quitoque (rachetée par Carrefour) qui tentent de trouver des solutions à l’usage unique des contenants ».

Les applications relationnelles se développent également avec des marketplaces ou plates-formes de mise en relation « food » qui proposent une mise en réseau et une constitution de communautés autour du mieux manger : en exemple, nous pouvons citer Chef Bambino ou l’Atelier des Chefs.

Comme nous pouvons le voir, il y a une forte dynamique du secteur et une volonté des acteurs « traditionnels » de progresser sur le sujet :

  • L’écosystème évolue très vite pour rendre accessibles les applications à la maison mais également hors domicile, comme dans les magasins. On peut le voir avec l’application Yuka qui a trouvé il y a 6 mois des solutions pour optimiser l’utilisation en magasin.
  • De plus, l’usage initialement très urbain se développe dans les territoires : avec la politique volontariste au niveau national concernant le maillage pour l’accès au réseau Internet et l’arrivée prochaine de la 5G. Il y a une facilité/égalité d’accès à l’information avec une multiplication des possibilités : augmentation de la vitesse à laquelle nous allons avoir accès aux données et un accès à de nouvelles technologies, comme la réalité augmentée.

En parallèle, même s’il pourrait être plus important et plus rapide, il y a un engagement réel des distributeurs traditionnels (Carrefour, Leclerc, Casino, Groupe U…) pour tenter des expérimentations avec des start-up.

C’est indéniable, ces applications nous aident à mieux manger, mais la pratique d’utilisation active est encore balbutiante. Bien qu’en progrès, cela est aussi en lien avec des écarts générationnels et le caractère plutôt urbain du phénomène. Il y a néanmoins de l’engagement, une recherche de la praticité dans l’usage, et une recherche d’expérience utilisateur.

Dans ce contexte, l’acte d’achat devient de plus en plus raisonné grâce à des pratiques innovantes en ce qui concerne l’approvisionnement (segment investi par des recherches scientifiques en cours, digitalisation de plus en plus forte de l’amont de la chaîne de valeur, initiatives blockchain portées par de grands ou plus petits acteurs, type IBM, GS1, Connecting Food, Carrefour…), avec le déploiement de certains dispositifs-tests dans plusieurs secteurs. Adoption par les utilisateurs finaux ?

L’avenir nous le dira… Le consommateur lui aussi est devenu plus acteur.

Néanmoins, aujourd’hui, aucune de ces applications ne prend en compte tous les critères, mais peut-être allons-nous observer un phénomène de concentration vers la start-up qui permettra de tout faire ! « Est-ce que ce sera Yuka ? Est-ce que ce sera C’est qui le patron qui lance C’est quoi le produit ?… La tendance est en tout cas à l’utilisation de beaucoup plus d’indicateurs : prise en compte de notion d’éthique, du parcours de vie du produit, etc. Ces notions sont devenues très importantes avec les nouvelles générations qui prennent en compte ces nouveaux indicateurs pour bien consommer. »

 Et demain, autour de l’assiette, quelles seront les tendances ?

Poêle intelligente, balance connectée, les possibilités sont infinies et n’ont pas fini de modifier notre façon de manger.

  • Les technologies d’objets connectés en lien avec la consommation alimentaire en sont encore au stade du balbutiement et de « l’évangélisation » du marché. Les innovations portées par des start-up comme Aveine (dans le secteur du vin), la fourchette/cuillère Spün qui compte les calories ingérées à chaque bouchée et vous informe si vous devez manger plus lentement, ou encore de grands noms du secteur (Seb, Vorwerk) sont de plus en plus présentes dans les foyers, mais cela n’est encore que le début de l’histoire.
  • La nourriture personnalisée, autre innovation rupturiste avec des start-up type Bloomizon ou Cuure qui proposent des programmes personnalisés de prise de vitamines (avec utilisation du digital pour faire l’interface directement avec le consommateur). Les offres sont de plus en plus tournées vers l’individu, au plus près de ses goûts, de ses besoins et de son profil physiologique.

Le marché des applications a encore une marge de progression avant d’arriver à maturité et tous les acteurs sont en ordre de marche (industriels, enseignes, associations de consommateurs, apps…).

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LE MANGEUR CONNECTÉ EST AVERTI. QUEL IMPACT SUR NOTRE ÉQUILIBRE ALIMENTAIRE?

Le mangeur connecté semble averti. Mais quel impact a la digitalisation sur notre équilibre alimentaire ? Les informations collectées sont-elles fiables et sûres sur le plan nutritionnel ? Les besoins nutritionnels des Français sont-ils en adéquation avec les tendances numériques (healthy, flexi…) ?

 Tous les jours, en consultation, Ysabelle Levasseur est confrontée au sujet de l’alimentation mais également à celui de la santé. « Aujourd’hui, le consommateur est toujours en phase d’apprentissage dans le décryptage des produits à travers les données des applications. Il est informé mais pas encore averti. Il doit faire face à beaucoup d’informations (applications/ réseaux sociaux/messages de santé publique) et au fait que les applications ne se “parlent” pas entre elles. En effet, l’individu est perdu. Les applications santé (dédiées à certaines pathologies, comme le diabète) sont complètement déconnectées des autres applications comme celles de consommation, d’acte d’achat et de celles conçues pour prendre des photos. C’est un des principaux défauts que je vois dans ces applications : elles sont non connectées entre elles et oublient l’aspect santé. »

Selon cette dernière, « toutes ces applications ont permis d’évoluer et d’apporter des bénéfices aux patients consommateurs. Néanmoins, elles ne sont pas parfaites et il convient d’apporter un bémol car tout cet écosystème peut avoir un impact négatif sur la santé ».

Les applications ont du bon car elles ont rendu le patient ou le consommateur plus acteur de ce qu’il mange. « Ces outils pointent du doigt les sujets et permettent de se poser les questions sur ce que l’on a dans l’assiette, et de prendre conscience du fait que ce que l’on mange peut avoir un impact sur sa santé et la planète. On observe un cercle vertueux avec des applications qui incitent les marques à modifier leurs recettes afin de répondre au mieux aux attentes des consommateurs.

Les marques font beaucoup plus d’efforts pour répondre aux applications comme Yuka, notamment sur les additifs qui sont très pointés du doigt par l’application. Mais attention, les additifs ont un rôle, notamment celui de conserver les aliments. Je conseillerais de prendre du recul par rapport à ces informations. »

Autre point positif, des applications, comme celle gratuite sur le site du PNNS manger bougerLa fabrique à menus –, proposent des menus relativement équilibrés gratuits à partir de produits de saison pour une semaine midi et soir avec liste de courses et donnent envie de reprendre le chemin de la cuisine.

Néanmoins, il y a des points de vigilance, selon Ysabelle Levasseur : « Cette influence des réseaux sociaux et de certaines applications génère de l’angoisse car nous sommes face à une multitude de messages (applications pour le sport, pour compter ses calories, pour générer ses menus, etc.). »

« De plus, toutes ces applications ne prennent pas en compte tous les critères, comme la quantité à consommer ou réellement mangée, on parle uniquement d’un plat/d’un aliment ou d’un ingrédient. Or, c’est bien plus complexe et toutes ces notions doivent se gérer dans un équilibre journalier et personnel (matrice nutritionnelle). »

Les informations disponibles sur les réseaux sociaux vont parfois donner des conseils sans légitimité, et elles vont être prises par les populations sensibles pour argent comptant qui n’auront pas toujours  « l’éducation » pour prendre du recul.

« Certaines catégories d’aliments vont être évincées, et cela me pose un problème côté santé. » Le consommateur connecté peut être connaisseur en matière d’équilibre alimentaire mais cette connaissance n’est pas toujours bonne : les informations dont il dispose sont celles de la communauté que le patient a choisie, celles qui l’arrangent et ce ne sont pas forcément les bonnes informations.

Il peut choisir de supprimer par exemple des catégories d’aliments comme la viande, les matières grasses, les produits sucrés, etc. Or, « supprimer une catégorie d’aliments n’est jamais bon, cela peut créer des déséquilibres par carences d’apport. Le fer, par exemple, sert à la fabrication des globules rouges, au transport de l’oxygène dans le sang, mais pas uniquement : il est très important dans les défenses immunitaires et dans le développement du quotient intellectuel et du cerveau des enfants. Des études dans le monde entier montrent le rôle important du fer. Le fer héminique que l’on trouve dans le monde animal est mieux absorbé que celui que l’on trouve dans le monde végétal. Il faut donc manger de tout de façon équilibrée. La viande n’est pas néfaste pour la santé et elle est indispensable dans une consommation raisonnée »

Face à cet excès d’informations, les professionnels de santé ont un rôle à jouer.

Et c’est aux consommateurs de prendre un peu de recul. Les applications sont très intéressantes pour ceux qui ont des maladies, des intolérances à des composants très spécifiques. « Dans ce cas, c’est très utile pour ces patients pour qui c’était parfois “l’enfer” de faire leurs courses, comme de manger. Mais là, les gens sont perdus pour démêler le vrai du faux : revenons donc à des choses simples, à des basiques. J’espère voir apparaître une application qui fasse le tour de tout : c’est-à-dire entre les recommandations nutritionnelles, mon cas personnel de diabétique et d’intolérant au gluten, et avec ma situation socioprofessionnelle par exemple ».

 Il faut se reconnecter à l’acte de manger, et ne pas faire autre chose

Ysabelle Levasseur témoigne également de l’impact de l’utilisation de nos smartphones à table, pendant que nous mangeons. « Lors des consultations, je me trouve à parler d’autres choses que de manger : c’est aussi comment on mange, avec qui, quand, combien de fois, et puis finalement on s’aperçoit que l’on mange presque seul… Mais pas que, car nous avons un 6e doigt qui est notre téléphone. »

« Ce téléphone devient omniprésent, notamment pour photographier ce que nous avons mangé. C’est également le téléphone qui nous dit ce qu’il faut manger et qui va nous aider à commander à manger. Mais nous avons oublié que la fonction principale du téléphone, c’est de téléphoner. »

 « Nous nous retrouvons à manger en faisant autre chose, bien souvent devant notre écran et nous sommes ainsi de plus en plus déconnectés de l’acte de manger. »

L’ultra connexion à son téléphone ne permet pas de réunir les conditions pour manger en pleine conscience. Il faut se reconnecter à l’acte de manger, et ne pas faire autre chose.

« Je vois beaucoup de patients qui ont du mal à manger, mais ils ne mangent plus : ils engloutissent souvent en 4 minutes. On sacrifie de plus en plus l’heure du repas. Heureusement, en France, on n’y est pas encore mais on y arrive tout doucement, comme ce qui se passe aux USA… On ne mange plus en conscience et cela a des impacts sur notre digestion et donc notre santé. »

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LE PLAISIR EST-IL TOUJOURS AU CENTRE DE L’ASSIETTE ?

 Les Français et la nourriture, c’est une grande histoire d’amour. Dans ce contexte de digitalisation, notre modèle alimentaire français est-il remis en question ?

En France, nous avons encore le sens du plaisir. Le mangeur connecté n’est pas seulement un mangeur bien informé, équipé de quantified self qui connaît précisément les calories ingérées, le nombre de calories brûlées dans l’effort, les IMC… mais qui grâce aux nouvelles technologies, prend plaisir », souligne Catherine Lejealle, sociologue spécialiste du numérique.

Elle regroupe cette notion de plaisir autour de 4 axes :

  • Gamification/fun : aujourd’hui, les utilisateurs de ces applications recherchent du « fun » avec des idées de recettes en réalité augmentée/réalité virtuelle, ou autres gamifications. Le numérique donne accès à un flux d’informations qui permet la diversification des repas, par exemple. Les nouvelles technologiques offrent la possibilité de vivre de nouvelles expériences culinaires ou d’apprendre à s’alimenter de manière ludique :
  • au Brésil, expérimentation faite avec Hellmann’s Recipe Cart : comment faire manger de façon plus diversifiée de la mayonnaise ? Par l’intégration de puces RFID (radio frenquency), avec des Caddies connectés qui divulguent des recettes lorsque le client passe devant des rayons ;
  • Heinz Lunch Generator, application qui donne des idées de recettes en fonction de son appétit (gargantua, moineau), de son budget et de son style (love, etc.) ;
  • iCuisto et Frigo Magic, deux applications de scan de frigo qui tiennent compte du nombre de convives et indiquent les apports nutritionnels.
  • Social partage : notre assiette, plus connectée, présente l’avantage du partage communautaire, du lien social. C’est un des aspects du plaisir. Exemple en déjeunant avec ses voisins Mijo ou en allant partager une glace via OVS. Autre exemple, avec YouMiam (l’application sociale pour trouver des recettes de cuisine). La création de communautés, les interactions qui naissent autour de l’alimentation, la visibilité qui est apportée sur de nouvelles cultures… Autant de dynamiques positives sur le plan social. L’influence permet d’élargir l’espace de la convivialité, de favoriser la transmission de savoir-faire, de recettes, etc.
  • L’ego de l’utilisateur est flatté avec des recettes personnalisées, avec un compte Instragram où il poste sa porn food et est liké ; il poste des recettes sur des sites comme marmiton et gagne des challenges… Les réseaux sociaux permettent également de flatter l’ego avec une dimension de narcissisme.
  • Conviction écologique et lutte contre le gaspillage : aujourd’hui, aller au fond de ses convictions est une dimension importante pour les consommateurs (13 % des gens sont conscients de la nécessité de préserver la planète, de ne pas gaspiller, selon le CREDOC), avec Wag (We Act For Good), To Good To Go, Magic Frigo pour lutter contre le gaspillage et gagner du temps.

Ysabelle Levasseur ajoute la dimension intergénérationnelle, avec notamment des applications comme Paupiette, ce midi c’est chez Mamie qui permettent de cuisiner pour ceux qui n’ont pas le temps. Des exemples très positifs, qui contribuent au plaisir !

Même avec les nouvelles technologies, le plaisir reste présent dans notre manière de nous alimenter. La quête du bon et du beau est amplifiée dans ce contexte de digitalisation.

De plus, les nouvelles technologiques offrent la possibilité de vivre de nouvelles expériences culinaires, d’apprendre à s’alimenter de manière ludique ou encore de se mettre en relation avec des gens pour partager un moment de convivialité.

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CONCLUSION

Il y a donc un paradoxe aujourd’hui : nous n’avons jamais été autant connectés et, pourtant, nous nous déconnectons de notre alimentation !

Les réseaux sociaux, les applications, les services numériques en tout genre ont très clairement une influence sur notre alimentation. Positive, pour beaucoup. Négative, également. Cela est variable en fonction des âges et des différentes catégories sociales.

Cette influence crée très clairement une notion de communauté qui existait auparavant mais qui se renforce au sein des consommateurs, voire des patients. Dans les influences négatives, il y a malheureusement l’extrémisme, qui pousse à l’orthorexie, à la recherche de l’hypercontrôle, et toute cette notion d’anxiété qui se développe avec cet excès d’informations. Face à cette surinformation, il est plus que jamais nécessaire de faire le tri.

Pour aider les consommateurs, l’écosystème de start-up développe de nouveaux services. Yuka en est un bon exemple. Lorsque l’on crée un service simple, facile à comprendre, qui s’insère dans le quotidien, il est plébiscité. Si ces services ne sont pas exempts de défauts par leur simplification, afin d’être rendus accessibles et intuitifs, ils ont le mérite d’être acquis par le consommateur et de faire réagir.

Aujourd’hui, il y a de nouveaux services à imaginer avec les start-up en travaillant mieux l’aspect santé et équilibre alimentaire, et en intégrant l’aspect durable, facette de plus en plus prise en compte dans l’alimentation… sans oublier cette fameuse notion de plaisir qui constitue le socle de notre modèle alimentaire français.

Ce compte rendu est disponible en ligne sur le blog Meatlab.

https://www.charal.fr/meatlab/

https://www.charal.fr/

#MeatLabCharal

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